Simon Vincent traitera d’actualité judiciaire sur INFOSuroit.com. Le nouveau chroniqueur a grandi à Salaberry-de-Valleyfield, a étudié au Collège de Valleyfield et a terminé récemment un programme de baccalauréat en Droit. Il détient également un bac en Philosophie politique. Dans ses billets, Simon Vincent entend réagir à la manière dont les tribunaux se prononcent sur des questions sociales importantes. Une perspective souvent absente des débats, notamment en raison du langage technique et aride utilisé en droit. Son premier billet porte sur la récente décision de la Cour fédérale concernant le port du niqab :
Prêter serment à visage dévoilé : qu’est-ce qui explique la décision de la Cour fédérale ?
Alors que la perception de l’islam est très négative au Québec depuis quelques mois, la Cour fédérale a récemment rendu une décision fort controversée concernant le port du niqab. Il s’agit d’un voile qui couvre presque entièrement le visage de certaines femmes musulmanes. La Cour a jugé qu’on ne pouvait forcer ces femmes à dévoiler leur visage lors de la cérémonie d’assermentation, dernière étape afin d’accéder à la citoyenneté canadienne.
En 2011, le gouvernement fédéral s’est doté d’une politique ministérielle selon laquelle lors de la cérémonie d’assermentation des nouveaux citoyens canadiens, ceux-ci doivent prononcer le serment d’allégeance à visage dévoilé.
L’objectif sous-jacent à une telle mesure est de s’assurer que, alors que les futurs citoyens prêtent ultimement allégeance au pays qui les accueille et à ses valeurs, ceux-ci mettent symboliquement de côté une pratique jugée misogyne et rétrograde par bon nombre de Canadiens.
Zunera Ishaq, une candidate d’origine pakistanaise à la citoyenneté canadienne, s’est opposée en Cour à une telle politique. Celle-ci porte le niqab et peut accepter de le retirer, mais seulement pour des raisons de sécurité, pour confirmer son identité, ou encore en privé devant une femme.
Lorsque celle-ci a passé son examen de citoyenneté, elle a accepté de retirer son niqab en privé devant une femme, pour des fins d’identification. Mme Ishaq a réussi son examen, mais ne peut devenir officiellement citoyenne que lors d’une cérémonie d’assermentation au cours de laquelle celle-ci doit prêter allégeance à la Reine. Puisque cette cérémonie est publique, qu’elle s’est déjà identifiée et qu’elle n’estime pas absolument nécessaire de réciter le serment à visage découvert, elle refuse d’y assister et ne peut devenir officiellement citoyenne. Elle a donc décidé de contester en Cour la politique ministérielle.
Le juge a donné raison à Mme Ishaq. Un principe général en droit veut qu’une simple politique ministérielle ne peut avoir préséance sur un règlement adopté en vertu d’une loi du Parlement. Or, le Règlement sur la citoyenneté dispose que le juge de citoyenneté doit « faire prêter le serment de citoyenneté (…) en accordant la plus grande liberté possible pour ce qui est de la profession de foi religieuse ou l’affirmation solennelle des nouveaux citoyens ». Puisque la politique ministérielle limite complètement la discrétion que le règlement donne au juge de citoyenneté, la Cour fédérale a donc déclaré la politique illégale.
La décision peut paraître controversée à première vue. Mais quand on s’attarde aux détails, on constate que le raisonnement de la Cour fédérale est plus nuancé. Celle-ci ne soutient pas que les femmes voilées peuvent refuser de se dévoiler dans n’importe quelle circonstance selon leur bon vouloir, au nom de la liberté de religion. Les musulmanes qui portent le voile demeurent obligées de se dévoiler afin d’être identifiées, ce à quoi Mme Ishaq ne s’est jamais opposée.
Toutefois, celle-ci ne voyait pas pourquoi il était nécessaire qu’elle dévoile son visage en public au moment précis de prêter serment à la Reine, alors qu’elle pourrait le faire en privé, devant une femme, si c’est vraiment nécessaire. C’est le fait que la politique ministérielle retirait au juge de citoyenneté une telle possibilité, mieux adaptée à ses croyances, qui a fait pencher la balance en faveur de Mme Ishaq.
Le gouvernement Harper a décidé d’en appeler de la décision. Il tentera certainement de justifier sa politique sur la base du caractère très symbolique du serment d’allégeance et de l’importance pour les nouveaux citoyens d’adhérer aux valeurs canadiennes.
Il faut cependant garder en tête que la Cour ne dit pas qu’il est illégal d’interdire le port du voile lors du serment du serment d’allégeance. Elle dit simplement que s’il existe une manière plus conforme aux croyances des futurs citoyens de prêter un tel serment, cette possibilité doit être donnée au juge de citoyenneté.
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