Actualité judiciaire – La fin de la prière au Conseil municipal

Simon Vincent chroniqueur INFOSuroit 2mars2015Depuis le début mars, Simon Vincent signe sur INFOSuroit.com des chroniques sur l’actualité judiciaire. Détenteur d’un baccalauréat en Droit, ainsi qu’un baccalauréat en Philosophie politique, Simon Vincent traite dans ses billets des tribunaux et leurs jugements sur des questions sociales importantes. Voici son nouveau texte : La Fin de la prière au conseil municipal :

(Simon Vincent) – En 2006, le Tribunal des droits de la personne avait ordonné à la Ville de Laval de cesser de réciter une prière au début des séances du Conseil municipal. Le Tribunal estimait qu’une telle pratique était discriminatoire à l’endroit des citoyens qui ne croient pas en Dieu.

La plupart des municipalités du Québec ont suivi la décision du Tribunal. La Ville de Salaberry-de-Valleyfield a par ailleurs mis fin à cette pratique en 2008.

Jean Tremblay, le maire de Saguenay, ne l’entendait toutefois pas ainsi. Très attaché à cette tradition, il fit adopter par la ville un règlement qui, l’espérait-il, rendrait la récitation de la prière conforme à la loi. Il fit changer le texte de la prière afin d’éliminer les références au Dieu chrétien et pour ne conserver que des références à « Dieu », afin de ne froisser aucune religion. Le règlement donnait aussi la possibilité à ceux qui ne désiraient pas assister à la prière de s’absenter pendant sa récitation.

Malgré ces mesures, Alain Simoneau, un citoyen habitué des séances du Conseil, se sentait toujours discriminé par la prière. Pour lui, la récitation d’une prière par le maire minait la participation des citoyens incroyants à la démocratie municipale. D’ailleurs, lorsque celui-ci quittait la salle afin de ne pas assister à la prière, il se sentait exclu et isolé, obligé de signifier à tous les gens réunis sa différence et son incroyance.

Il intenta à son tour un recours contre la Ville de Saguenay. Le Tribunal lui donna raison, pour les mêmes raisons qu’en 2006 dans l’affaire qui avait impliqué la Ville de Laval. Cependant, le maire Tremblay entendait cette fois mener jusqu’au bout ce qu’il considérait comme son « combat pour le Christ ».

En appel, la Cour faillit bien lui ouvrir les portes du paradis. Celle-ci infirma la décision du Tribunal, estimant que la prière était un bon compromis entre le devoir de neutralité religieuse de l’État et la prise en considération de la réalité culturelle de la société québécoise et de ses traditions religieuses. La Cour estimait d’ailleurs que la prière ne représentait pas une atteinte très sérieuse à la liberté de conscience de M. Simoneau. C’est finalement la Cour suprême qui a mis un terme au débat, en tranchant définitivement en faveur de M. Simoneau.

Pour la Cour, dans une société démocratique, l’État, que ce soit une ville ou un parlement, a une « obligation de neutralité religieuse ». Il ne peut favoriser ou encourager une religion plutôt qu’une autre. Préconiser l’approche contraire entraîne l’exclusion du débat démocratique des citoyens qui n’adhèrent pas à la même conception du monde. Si la Cour reconnaît que la neutralité absolue est impossible, elle ne peut non plus entériner le fait qu’une ville adopte ouvertement une pratique religieuse comme la prière.

Ce qui a joué contre le maire Tremblay ultimement, c’est que la Cour suprême n’a pas acheté son argument sur la neutralité de la prière et son caractère traditionnel. Il ne faisait aucun doute que la prière représentait une utilisation des pouvoirs publics pour adopter sciemment une pratique religieuse. D’ailleurs, cette prière était le combat du maire Tremblay, bien plus qu’une tradition à Saguenay. C’est donc avec raison que M. Simoneau se sentait sincèrement exclu et discriminé en tant qu’athée.

En terminant, la Cour tient à souligner qu’interdire la prière n’équivaut pas non plus à forcer la Ville de Saguenay à adopter l’athéisme. La Cour souligne que si le maire devait déclarer solennellement avant chaque séance que les délibérations du Conseil sont fondées sur le déni de Dieu, cette pratique serait tout aussi inacceptable !

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Vous pouvez lire ou relire les chroniques judiciaires précédentes de Simon Vincent :

 

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