Passionné d’histoire et de patrimoine, l’auteur et conférencier Sylvain Daignault a lancé aux Éditions Broquet un ouvrage, Québec Insolite, qui revient sur des événements méconnus ou oubliés de l’histoire du Québec. Son blogue quebecinsolite.wordpress.com fait partie des recommandations d’INFOSuroit. Fier de collaborer avec le média régional collaboratif, Sylvain Daignault livre ici un texte concernant l’incendie au Laurier Palace de Montréal.
(Sylvain Daignault) – Dimanche 9 janvier 1927 : il y a foule au Laurier Palace, un cinéma de quartier situé au 1683, rue Sainte-Catherine Est (maintenant 3215, rue Sainte-Catherine Est) dans Hochelaga-Maisonneuve. Plus de 800 personnes passent le guichet qui ouvre à midi. Cinq cents d’entre elles s’installent au rez-de-chaussée alors que plus de 350 autres, en majorité des enfants, montent au balcon par les deux escaliers.
Au programme ce jour-là : un long métrage, The Devil’s Gulch (Le ravin du diable) un western, et quelques courts métrages dont une comédie au titre ironiquement funeste : Get ‘Em Young (Prenez-les jeunes) avec Stan Laurel.
La diffusion débute vers 13 h. Vers 13 h 35, une personne remarque de la fumée qui s’échappe d’une trappe d’aération du plancher, au centre, à l’avant du balcon. Rapidement, deux placiers tentent sans succès d’éteindre les flammes qui jaillissent maintenant de la trappe.
L’évacuation des spectateurs au rez-de-chaussée se passe sans problème. Il en va autrement pour les gens qui sont au balcon. Du côté est, les gens descendent sans difficulté. Mais il n’en va pas de même pour les personnes qui tentent de descendre du côté ouest. En effet, une porte ouverte du hall bloque la porte au bas de l’escalier. De plus, la cage d’escalier ne mesure que 3 pieds 9 pouces de largeur. L’escalier compte trois sections divisées par deux paliers, une configuration qui complique une évacuation efficace des lieux.
Pour faire une histoire courte, la panique s’empare des enfants qui s’agglutinent dans cet escalier. En un rien de temps, des dizaines d’enfants s’empilent les uns sur les autres, presque jusqu’au plafond !
Arrivés rapidement sur les lieux – la caserne 13 est située de l’autre côté de la rue – les pompiers doivent faire vite car le silence remplace rapidement les cris et les pleurs des enfants coincés. On tente dans un premier temps de tirer quelques-uns des enfants. Échec ! On doit démolir la cloison du mur !
Le constat est affreux : 77 enfants ont trouvé la mort. Le pompier Elphéda Arpin trouve le corps inanimé de son fils de 6 ans, Gaston. Les autopsies pratiquées montrent que la très grande majorité d’entre eux sont morts par compression thoracique ou par asphyxie.
Les victimes sont âgées de 4 à 18 ans. La plupart se trouvaient en état d’infraction puisque les enfants n’étaient pas accompagnés par un adulte. La loi interdit en effet le cinéma aux enfants de 16 ans et moins s’ils ne sont pas accompagnés d’un adulte.
Quelques jours plus tard, 3000 personnes assistent aux funérailles de 39 des victimes à l’église de la Nativité-de-la-Sainte-Vierge d’Hochelaga-Maisonneuve. L’archevêque de Montréal, Mgr Georges Gauthier, affirme sans nuance que ces décès sont la punition réservée aux parents qui ont envoyé leurs enfants au cinéma un dimanche.
Les journaux de l’époque estiment à 10 000 le nombre de personnes le long du parcours qui conduit les corps au cimetière Notre-Dame-des-Neiges.
À la suite d’une commission d’enquête, le gouvernement libéral de Louis-Alexandre Taschereau adopte, le 22 mars 1928, une loi qui exige que les salles possèdent des portes paniques que l’on peut ouvrir de l’intérieur vers l’extérieur et redéfinit les dimensions des zones de circulation. Cette loi interdit également aux enfants de moins de 16 ans d’aller au cinéma même s’ils sont accompagnés d’un adulte, une mesure que demeurera en vigueur durant quarante ans !
Le cinéma Laurier Palace est détruit peu de temps après l’incendie. En 1953, le terrain est vendu par Hochelaga Amusements à la Fabrique qui décide d’y ériger une chapelle-desserte. La première messe y est célébrée le 6 décembre 1953.
La chapelle a fermé au début des années 1970. Depuis 1998, l’Église évangélique Béthel occupe les lieux.
Exception faite d’une modeste plaque artisanale devenue illisible accrochée au bâtiment, aucune plaque, aucun monument, aucun trophée ne rappelle ce drame qui a coûté la vie à 77 enfants il y a 95 ans.
Cela en dit long sur notre mémoire collective.
Qui sait ? Peut-être y aura-t-il quelque chose de bien, de significatif, pour commémorer le centenaire de cette tragédie dans cinq ans.
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Amateurs d’histoire et de patrimoine, découvrez en plus sur ce billet et sur plusieurs autres en consultant le site Web quebecinsolite.wordpress.com
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