(Michel Falardeau) – Tel que promis dans mon billet précédent, je vous offre cette fois un dossier sur la situation financière de l’Europe. Au cours des derniers mois, la crise des dettes souveraines en Europe a fait régulièrement la manchette des médias. Certains pourraient penser que ces problèmes surviennent sur un autre continent et qu’ils ne nous concernent guère.
Mais ce serait oublier que, dans un effort pour minimiser le niveau de risque de leurs portefeuilles, nos banques, nos fonds mutuels et nos fonds de pension ont, par le passé, diversifié leurs investissements à travers le monde; et, au cours de cette opération, ils ont cherché avant tout à miser sur des valeurs sûres, notamment sur les banques européennes. Et c’est à travers ces placements que la crise des dettes souveraines en Europe pourrait traverser l’Atlantique et avoir des répercussions jusque dans nos foyers.
Dans ce dossier, je présenterai donc un bref historique de cette crise européenne et tenterai d’en dégager les enjeux majeurs.
De 1957 à 2002 : les Européens se dotent graduellement d’institutions et d’une devise communes
C’est dans le giron des nombreuses guerres qui déciment à plusieurs reprises le continent européen au cours des siècles que germe progressivement l’idée de pacifier ces frères ennemis en les réunissant au sein d’une institution politique commune. Après avoir été dévastées par deux grandes guerres mondiales en seulement trente ans, ce sont la France et l’Allemagne qui reprennent le flambeau d’un projet paneuropéen visant à instaurer la paix, la prospérité, la démocratie et la solidarité sur ce continent.
Les efforts portent d’abord sur le développement de marchés économiques communs, aboutissant à la création, en 1957, de la Communauté économique européenne (CEE). Et il faut trente-cinq ans d’apprivoisement graduel, par le biais de cette coopération économique, avant que les pays membres ne se sentent suffisamment en confiance, les uns envers les autres, pour accepter de faire un pas de plus en avant en cédant également une partie de leur gouvernance politique à une institution commune. C’est ainsi que nait, en 1992, l’actuelle Union européenne avec la participation initiale des 12 membres de la CEE; aujourd’hui, 27 pays en font partie et ce nombre ne cesse de croître au fil des ans.
Au sein de cette Union européenne, 17 pays seulement utilisent aujourd’hui une monnaie commune, l’euro, lancée en 2002; ils forment ce qu’on appelle la zone euro.
Cependant le Royaume-Uni, tout en adhérant à l’Union européenne, choisit délibérément de s’exclure de la zone euro afin de conserver sa propre devise, la livre sterling.
Au printemps 2010 : les crises grecques et irlandaises éclatent au grand jour
En 2008, la crise financière des créances hypothécaires à risque (subprime mortgages en anglais) ébranle sévèrement les économies nationales à travers le monde. Elle projette, du même coup, un éclairage cru sur la vulnérabilité de certains pays européens, incapables de réagir adéquatement à cette crise en raison de l’ampleur de leur dette souveraine. On en est venu à identifier ces pays particulièrement à risque à l’aide d’un acronyme de langue anglaise peu flatteur, les PIIGS (Portugal, Ireland, Italy, Greece and Spain).
Mais c’est en Grèce, au début de mai 2010, qu’éclate au grand jour la première crise des dettes souveraines de la zone euro. Étant donné les lourds déficits budgétaires qu’elle enregistre à répétition, ses créanciers internationaux craignent qu’elle ne soit plus en mesure de rembourser ni le capital, ni les intérêts de sa dette (aujourd’hui autour de 330 milliards d’euros). Face à un tel risque, ils exigent des taux d’intérêt de plus en plus élevés sur ses nouveaux emprunts… jusqu’à ce que ces taux atteignent un niveau carrément insoutenable pour le budget de ce pays.
Le 7 mai 2010, les pays de la zone euro décident de se porter à la rescousse de la Grèce en lui consentant des prêts de 80 milliards d’euros auxquels s’ajoutent d’autres prêts de 30 milliards d’euros de la part du Fonds monétaires international (FMI). En contrepartie, ils exigent que la Grèce applique immédiatement de sévères mesures d’austérité budgétaire et de collecte des impôts dus, ce qui soulève la colère de nombreux citoyens de ce pays.
Pour éviter que cette crise des dettes souveraines ne se propage à l’ensemble de l’Europe, l’Union européenne, de concert avec le FMI, se dote aussitôt, dès le 10 mai 2010, de fonds de stabilisation totalisant 750 milliards d’euros en faveur des autres PIIGS. En octobre 2011, ce montant est porté au-delà de 1 000 milliards d’euros. Ayant été créés en situation d’extrême urgence, ces fonds ne disposent d’aucune assise juridique; ils seront finalement remplacés, en juillet prochain, par une institution permanente, le Mécanisme européen de stabilité qui reprendra leurs actifs et leur mission.
À l’automne de cette même année 2010, c’est au tour de l’Irlande d’être sévèrement touchée. Auparavant surnommée le « Tigre celtique » en raison de la forte croissance de son économie et du sain équilibre de ses finances publiques, elle s’est jusque-là portée à la rescousse de ses banques privées menacées de faillite à la suite de la crise des créances hypothécaires à risque amorcée en 2008.
Après s’être lourdement endettée pour les maintenir à flot, elle se résout finalement à demander l’aide de ses partenaires européens qui lui accordent un plan de sauvetage prévoyant des prêts de l’ordre de 85 milliards d’euros.
En 2011 et 2012 : la situation se détériore en Grèce et au Portugal
Au printemps 2011, il appert d’ores et déjà que la Grèce ne rencontrera pas les objectifs budgétaires qui lui ont été assignés : la récession y est aggravée par les mesures d’austérité imposées, ce qui réduit ses entrées de fonds, et le gouvernement ne réussit guère à améliorer l’efficacité de son système de perception des impôts. Contrairement à ce qui avait été prévu au plan de sauvetage, elle ne pourra donc pas revenir sur les marchés des emprunts en 2012 et il faut déjà prévoir des financements alternatifs de sa dette.
Après d’âpres discussions, l’Union européenne met sur pied un second plan de soutien de 130 milliards d’euros, mais elle exige, cette fois-ci, que les banques privées leur emboitent le pas en acceptant, sur une base volontaire, de couper de moitié la valeur de la dette grecque de quelque 200 milliards d’euros qu’elles détiennent. Et lorsqu’il appert que la Grèce ratera à nouveau de 15 milliards d’euros les cibles fiscales qui lui ont été assignées, elle conditionne l’allocation des fonds de son second plan de sauvetage à l’application de mesures d’austérité additionnelles.
Le 7 avril 2011 c’est au tour du Portugal à demander l’aide de l’Union européenne qui lui alloue des prêts de l’ordre de 78 milliards d’euros. Malgré cette aide, sa décote par les agences de notation pousse à nouveau les taux d’intérêt exigés par ses créanciers sur ses nouveaux emprunts à des niveaux insoutenables… d’autant plus que les banques privées craignent qu’on leur demande, tout comme dans le cas de la Grèce, de couper de moitié la valeur des emprunts consentis au Portugal.
Pour sa part, bien qu’en raison des accords conclus lors de la création de l’Union européenne, la Banque centrale européenne (BCE) ne soit pas autorisée à consentir des prêts directs aux gouvernements de la zone euro, elle ne reste pas pour autant les bras croisés en ces temps de crise. Elle se porte acquéreur de bonds émis par des pays européens lorsqu’ils ne trouvent pas preneur à un taux raisonnable; elle détient ainsi quelque 40 milliards d’euros en bonds émis par la Grèce. En décembre dernier, elle injecte près de 500 milliards d’euros dans les banques européennes afin de leur fournir les liquidités nécessaires pour passer à travers cette crise et elle entend répéter une telle opération le 29 février prochain. Cette augmentation massive des liquidités bancaires aident notamment l’Espagne et l’Italie en occasionnant une certaine détente des taux d’intérêt sur les nouveaux emprunts qu’elles doivent contracter. Et la BCE a déjà annoncé son intention de répéter semblable opération à grande échelle dès février de cette année.
L’ampleur de la dette des PIIGS
Le tableau qui suit présente l’ampleur de la dette souveraine des pays européens en difficultés financières mise en relation avec leur richesse collective respective et comparée avec celle d’autres pays :
PIIGS |
Dette publique en % de la richesse collective |
Autres pays |
Dette publique en % de la richesse collective |
Portugal Irlande Italie Grèce Espagne |
121,9% 118,8% 128,1% 181,2% 77,2% |
France Allemagne États-Unis Canada |
102,4% 87,3% 103,6% 92,8% |
Source : Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) |
L’Europe pourrait-elle sortir grandie d’une telle crise ?…
Ce qui était même inconcevable il y a quelque mois s’est finalement produit à la fin de janvier. Les dirigeants de 25 pays européens ont accepté de transférer à l’Union européenne tout un pan de leur souveraineté nationale en adhérant à un nouveau traité fiscal visant à implanter des règles communes et des sanctions plus strictes sur le contrôle des déficits et des dettes souveraines. Ce traité vise à prévenir de futures crises en s’assurant que les gouvernements ne dépensent pas au-delà de leurs moyens ni n’accumulent de dettes insoutenables.
Dans un discours prononcé au sommet de Davos jeudi dernier, Mme Angela Merkel, chancelière d’Allemagne, a livré sa vision de la future Europe en incitant à « oser plus d’Europe », en invitant à « s’habituer au fait que la Commission européenne s’apparente de plus en plus à un gouvernement »… une Europe fédérale avec davantage de pouvoirs, plus unie, plus unifiée et plus intégrée.
Selon Mme Merkel, plutôt que de se contenter de soigner les symptômes de cette crise en injectant continuellement de l’argent neuf dans une structure qui a clairement démontré ses limites, elle préfère régler le problème à la source en renforçant ces structures politiques et en faisant preuve d’austérité pour résorber ces dettes… Et pour ce faire, répond-elle à ses détracteurs, il faut du temps dans une démocratie. C’est à ce prix seulement qu’on pourra assurer la durabilité de l’Europe.
En plus de mettre sur pied plusieurs mécanismes financiers pour remédier à court terme à la crise financière suscitée par l’ampleur de leurs dettes souveraines, les pays européens travaillent donc à se doter de structures politiques renforcées pour prévenir de tels débordements dans le futur. Et ils semblent généralement s’être sérieusement mis à la tâche pour résorber leurs déficits budgétaires, sauf la Grèce peut-être… Et quels que soient l’issue de la crise grecque, ils pourraient donc avoir passé le creux de la vague et être désormais mieux armés que jamais pour assurer, à long terme, leur avenir économique et politique…
Au fond, cette crise des dettes souveraines aura servi bien involontairement de véritable « banc d’essai » pour détecter les faiblesses du système européen et le renforcer en dotant ses membres d’une culture organisationnelle commune en ce qui a trait à la gestion des fonds publics. En ce domaine, elle pourrait même avoir rehaussé les standards internationaux que les investisseurs exigeraient désormais de tout pays qui voudrait avoir recours aux marchés mondiaux pour financer sa dette.
NDLR : Michel Falardeau est un citoyen de Saint-Anicet dans la MRC du Haut-Saint-Laurent. C’est un grand passionné de l’économie mondiale. Vous pouvez lire ses billets précédents sur l’Économie Mondiale :
- La Chine, Las Vegas, la Grèce & plus (12 février 2012)
- Dossier : Le prix du baril de pétrole bientôt à 200 $ US (8 février 2012);
- Économie mondiale : Le premier billet de Michel Falardeau (5 février 2012).
J’apprécie beaucoup vos articles sur notre économique. Vous mettez en relief les enjeux pour nous en mettant les problèmes dans leur contexte historique et géographique. Vous clarifiez les situations, merci de ces précieux apports.
Une question pour la quelle, j’espère que vous aurez de l’intérêt porte sur l’industrie du gaz chez nous, l’économie de cette industrie, les enjeux actuels, les perspectives. Nous sommes nombreux à vivre douloureusement les risques de l’exploration et de l’exploitation du gaz ici. D’autant plus que Saint-Anicet a accepté une demande de changement du zonage agricole pour le creusage d’un premier puits dans notre région. Merci de votre attention.